Amadou Hampâté Bâ
INTRODUCTION
Amadou Hampâté Bâ est né en 1901 au Soudan français qui était à l'époque une colonie* française (actuellement République du Mali).*Une colonie est un territoire occupé et administré par une nation étrangère et dont il dépend sur le plan économique, politique et culturel.
Le Soudan faisait partie de l'Afrique occidentale française (AOF),une partie de l'Empire colonial français avec Dakar comme siège du pouvoir central, qui regroupait 8 colonies (Sénégal, Mauritanie, Soudan (actuel Mali), Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Guinée, Niger, Côte d'Ivoire et Dahomey (actuel Bénin). Le Soudan est devenu indépendant le 22 septembre 1960.
Amadou Hampâté Bâ est un homme inclassable: il a été chercheur, historien, ethnologue (spécialiste qui étudie les peuples) , linguiste, poète, écrivain, homme de religion et surtout homme de paix. Qualifié de « Grand sage » de la littérature africaine », il a été le premier auteur de la littérature écrite en Afrique noire, le premier africain à témoigner du quotidien de l'administration coloniale qu'il a servie pendant près de 20 ans, le premier à collecter les richesses du patrimoine oral de son continent.
Comme c'est l'usage en Afrique, il a été initié dès le plus jeune âge à tous les événements rituels, c'est à dire la façon de parler, de s'habiller et le fait d'être toujours à l'écoute des initiateurs: les maîtres, les griots (poète musicien originaire d'Afrique noire) ) les marabouts (En Afrique, personne connue pour ses pouvoirs de guérisseur) et les conteurs.
Toute sa vie, l'écrivain s'est attaché à défendre et à sauvegarder les cultures orales africaines et le dialogue entre les hommes, ce qui a fait sa célébrité. Son œuvre littéraire est considérable et compte des poèmes, des romans, des traductions, des ouvrages historiques, des mémoires, des contes, des essais...
SES RACINES
Par sa naissance même , Amadou Hampâté Bâ se situe au cœur de 2 grands courants historiques.
Les racines paternelles: l'attache à l'Empire peul du Macina
Son père, appartient à une très ancienne et noble famille peule qui joua un rôle important dans l'ancien Empire peul du Macina qui fut le premier empire coranique africain.(Macina: région du Mali, traversée par le Niger). Il a existé de 1818 à 1853 et réunissait plusieurs ethnies (peuples). Tout ce qui se déroulait de cet empire devait se conformer aux préceptes du livre Saint, le Coran.
Les peuls sont un peuple de nomades et sédentaires d'Afrique de l'Ouest. Ils seraient originaires du Sahara et se sont intégrés depuis des siècles à la population de nombreux états d'Afrique occidentale (Sénégal, Guinée, Mali, Haute-Volta, Niger, Nigeria, Côte d'Ivoire...). Au Mali, les Peuls, principalement implantés dans la région de Mopti constituent la deuxième ethnie après les Bambaras.
La langue peule est parlée par 12 millions d'Africains. Il y a beaucoup de métissages linguistiques parmi les peuls. (les nombreux dialectes se mélangent). Les peuls sont des bergers, des pasteurs. Comme dans toute l'Afrique noire, leurs traditions et leurs cultures se perpétuent à travers la tradition orale. Ils sont majoritairement musulmans.La famille d'Amadou Hampâté Bâ fut presque entièrement massacrée au cours de la guerre qui opposa les peuls aux toucouleurs (autre peuple vivant au Sénégal, ainsi qu'au Mali ). Cette guerre fut menée par El Hadj Omar Tall qui fonda au 19ème siècle l'Empire toucouleur sur une partie de l'actuel Mali .
Dans sa famille paternelle, le jeune Amadou entendra très tôt les grands récits relatifs à la chute de l'Empire peul du Macina et l'histoire tragique de sa lignée paternelle .
Les racines maternelles: L'attache à l'Empire toucouleur
Sa mère est la fille d'un silatigui ( grand maître en initiation pastorale, doué de facultés hors du commun, sorte de religieux initié aux secrets pastoraux( relatifs à l'élevage nomade).
Ce pasteur (berger) peul a tout quitté pour suivre El Hadj Omar Tall , conquérant fondateur de l'Empire toucouleur dont il devient l'homme de confiance et le confident fidèle. Par sa mère, le jeune Amadou héritera donc des récits se rapportant à toute l'époque d'El Hadj Omar Tall et à la fondation de l'Empire toucouleur.
A 3 ANS: exil à BOUGOUNI
A 3 ans, il perd son père. Il reste d'abord dans sa famille paternelle pendant un an.
Lorsqu'il a 4 ans, sa mère épouse en secondes noces un noble toucouleur, Tidjani ( chef de la Province de Louta) qui l'adopte. Mais peu de temps après le mariage, Tidjani est destitué par les autorités coloniales françaises et envoyé en exil à Bougouni: toute la famille quitte Bandiagara pour le suivre.
Une vie nouvelle commence alors pour Amadou: il se retrouve en plein pays bambara, un autre peuple d'Afrique de l'ouest.
Pendant 4 ans, il entend chanter, conter ou enseigner les plus grands musiciens, conteurs et traditionalistes, aussi bien peuls que bambara qui fréquentent la maison de son père adoptif. Ils vont lui transmettre par oral les légendes, les coutumes, les traditions, l'ensemble des croyances de son peuple (et d'autres aussi) Plus tard, il publiera les grands contes initiatiques peuls.
A BOUGOUNI:l'influence d'un ami intime de la famille, TIERNO BOKAR
Tierno Bokar est un haut dignitaire de la confrérie* « Tidjani ». Le tidjanisme est une branche de l'islam , qui rejette toute hiérarchie sociale et prône l'égalité des hommes.
* Confrérie: dans l'islam, organisation religieuse regroupant des fidèles qui effectuent des exercices spirituels sous la direction d'un guide, d'un initiateur.
C'est cet ami intime de la famille qui guidera Amadou sur la voie religieuse et spirituelle, qui le formera à l'islam, lui enseignera la tolérance, l'amour et le respect de tous les êtres. Il deviendra son maître spirituel. Celui-ci connaît la langue et les coutumes des diverses ethnies de la région. Amadou Hampâté Bâ reçoit donc les initiations enfantines locales, ce qui lui permettra d'accéder à une nouvelle formation traditionnelle.
1908: A 7 ans retour à Bandiagara/entrée à l'école française
En 1908, après la mort du roi de Bandiagara, l'administration coloniale permet à son père adoptif de revenir dans sa ville natale avec sa famille. Alors qu'il suivait les cours de l'école coranique de son maître Tierno Bokar, il est alors réquisitionné d''office pour l'école française de Bandiagara. En effet, les autorités françaises réquisitionnaient tous les fils de chefs ou de notables et les envoyaient de gré ou de force à l'école française afin de s'assurer la soumission de leur famille. La mère d'Amadou s'y oppose mais Tierno Bokar lui fait comprendre par ces paroles qu'elle doit accepter cet état de fait:
« La connaissance d'une chose est préférable à son ignorance »Connais-tu la raison pour laquelle Dieu fait cela? Il faut accepter. Si dieu a décidé qu'Amadou ne s'instruira pas à l'école française, il en reviendra. Et si Dieu a décidé que c'est sa voie, il la suivra. Je t'interdis de le racheter. »
A l'école Françoise, il fait la connaissance de Wangrin qui est alors interprète dans l'administration coloniale. Il deviennent amis. Il racontera plus tard la vie fabuleuse de cet homme dans son livre « L'étrange destin de Wangrin ». Wangrin est un homme sans scrupule. Il n'hésite pas à braver les dieux pour voler les riches au profit des pauvres , à narguer les colons de l'époque.
Même s'il fréquente l'école française,Amadou est plongé chaque soir dans sa culture africaine noire: il assiste à des causeries (débats), à des séances récréatives dans la maison de son père adoptif: des griots*, des poètes de talent déclament des contes, racontent des récits historiques. Amadou mémorise tout ce qu'il entend et le raconte à son tour à ses camarades de classe.
*Les Griots forment une caste à part, en Afrique noire, ce sont des poètes ambulants. Ils ne sont pas seulement les artistes d'un peuple, ils sont les dépositaires, les responsables de la tradition orale, musicale et poétique, car c'est grâce à eux que se transmettent la poésie, la musique et l'histoire, de génération en génération.
En 1913, il va à l'école régionale de Djenné pour préparer le Certificat d'
Etudes. C'est la première fois qu'il est séparé de sa famille. Il ne va pas être coupé de l'éducation traditionnelle car il loge dans la famille du chef peul traditionnel, Amadou Kisso, où il assistera à toutes les causeries et séances récréatives. De cette période, Amadou dit:
« A cette époque, j'emmagasinais tout dans ma mémoire. Je ne prenais pas encore de notes, je ne le ferai qu'à partir de 1921. Aujourd'hui encore, je me souviens parfaitement, dans le moindre détail, de tout ce que j'ai entendu à ce moment-là, par exemple les chroniques amusantes de Djenné et toute l'histoire de la ville » 1915 (14 ans): fuite à Kati (ville du Mali) / 1917(16 ans) :retour à l'école/1921: départ pour Ouagadougou
Pendant 2 ans, plus d'école! Amadou se consacre à sa nouvelle association de jeune gens qu'il a fondée. Il gagne quelque argent en faisant l'écrivain public pour les femmes de tirailleurs Sénégalais* dont les époux sont partis combattre sur le front en France (Première guerre mondiale).
*Les tirailleurs sénégalais étaient un corps de militaires appartenant à l'Armée coloniale constitué au sein de l'Empire colonial français en 1857, composé d'africains originaires du Sénégal.
1917: à 16 ans, il décide de reprendre ses études suite à la rencontre fortuite d'un ancien camarade d'école qu'il retrouve vêtu d'une splendide veste à boutons dorés, portant une casquette élégante et de jolis souliers. Il apprend que celui-ci étudie depuis un ans à l'École normale William Ponty de Gorée, au Sénégal. Il veut alors faire comme son camarade et devenir instituteur.
Pour cela, il doit d'abord passer une seconde fois son certificat d'étude à l'école régionale de Bamako, puis il va à l'école professionnelle où il étudie pendant 2 ans pour préparer le concours d'entrée de l'Ecole normale William Ponty de Gorée.A 20 ans, il réussit le concours, mais sa mère refuse de le laisser partir pour le Sénégal car il le dira souvent:
« en Afrique traditionnelle, on ne désobéit jamais à un ordre de sa mère, car tout ce qui vient de la mère est sacré »
Lorsqu'il reçoit la convocation officielle pour son départ à Gorée, il annonce donc aux autorités qu'il ne part pas.
Pour le punir de son indiscipline, le gouverneur, chez qui il est convoqué, l'affecte d'office au poste le plus éloigné possible de Bamako: à Ouagadoudou et au plus bas degré de l'échelle administrative en qualité « d'écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable », ce qui veut dire qu'il est employé subalterne* dans un bureau Il est commis aux écritures. Il va devenir « fonctionnaire coloniale ».
*subalterne: hiérarchiquement inférieur
Il a en outre l'obligation de faire le trajet à pied- près de mille kilomètres- accompagné d'un gardien pour l'empêcher de se sauver.
Pendant son voyage qui va durer 40 jours, il va noter pour la première fois tous les renseignements qu'il recueille en chemin sur la tradition orale( par la voix des anciens, des guides, des traditionalistes... ) C'est le début de la constitution d'un prodigieux stock de manuscrits sur les traditions orales.
1922 (21 ans): début de carrière en HAUTE-VOLTA (actuel Burkina Faso)
1922-1933: en 11 ans, il va par concours interne gravir tous les échelons administratifs.
Il ne sera toujours pas coupé de sa propre tradition car sur place vit son oncle, grand traditionaliste peul et éminent marabout ( en Afrique, homme réputé pour ses pouvoirs magiques, devin, guérisseur). Grâce à lui, il va récolter toute sa documentation sur les traditions des différentes ethnies locales.
1928: il rencontre pour la seconde fois son ami Wangrin. Celui-ci après avoir connu une réussite sociale et financière exceptionnelle, vient de faire faillite. Wangrin va raconter pendant 3 mois, soir après soir, sa vie aventureuse. Il fait promettre à Amadou d'écrire un jour sa vie, afin qu' »elle serve aux hommes à la fois d'enseignement et de divertissement ».
1933 (32 ans): retour à Bandiagara chez TIERNO BOKAR
BAMAKO: plusieurs années de difficultés et de tracasseries
De 1933 à 1942, il est affecté à Bamako en qualité de « commis expéditionnaire (= commis d'administration) ». Il est aussi premier secrétaire de la mairie de Bamako et de temps en temps, interprète du Gouverneur du Soudan. Pendant 4 ans, parallèlement à sa vie professionnelle, il poursuit sa collecte de traditions orales.
Mais de très graves ennuis vont s'abattre sur lui, qui,à la longue, vont menacer sa sécurité. On lui reproche son appartenance avec Tierno Bokar à une branche de la confrérie Tidjani. Cette branche, placée sous l'obédience* spirituelle d'un Grand Maître de la confrérie, appelé « Chérif Hamallah » est alors très mal vue des autorités coloniales françaises. L'administration considère ce Maître comme un dangereux rebelle qu'elle va persécuter jusqu'à sa déportation en France où il mourra en 1943. ses disciples seront aussi persécutés. Tierno Bokar mourra aussi dans des conditions tragiques.
* obédience: soumission à un supérieur religieuxEn 1942, Amadou Hampâté Bâ échappe de peu aux persécutions. Il ne doit son salut qu'à l'intervention du Professeur Théodore Monod, fondateur et directeur de L'Institut Français d'Afrique Noire à Dakar. (IFAN)
1942(41 ans):nouvelle carrière à l'IFAN
C'est grâce à une mission au Sénégal en 1943 qu'il reçoit l'initiation peule de l'un des derniers grands maîtres peuls (silatiguis) Ardo Dembo: il apprend les secrets de ses ancêtres et surtout le grand texte symbolique et initiatique peul appelé « koumen », qu'il publiera plus tard en 1961 avec l'autorisation du Maître.
Grâce à Amadou, les textes mythologiques des peuls pasteurs qui
tournent pour la plupart autour du bovidé (mouton, chèvre...), éternel compagnon du peul dans ses pérégrinations à travers la terre, nous sont connus.
Jusqu'en 1957, année où il quittera l'IFAN, fait aussi des recherches au Sénégal avec le grand généalogiste peul, Molom Gawlo : il va recueillir pendant 15 ans les arbres généalogistes de toutes les grandes familles peules, ce qui aboutira à la rédaction de « L'Empire peul du Macina », ouvrage historique réalisé d'après les seules données de la tradition orale.
1946: l'administration française lui propose un poste qui lui ouvrirait les grandes portes de la carrière politique. Il refuse par scrupule religieux. Les règles de l'ordre Tidjani auquel il appartient, déconseillent l'exercice « des fonctions de commandements ». 1951 (50ans) : bourses de l'UNESCO: AMADOU HAMPÂTE BÂ un an à PARIS
1952: retour au Soudan français, il reprend ses fonctions à l'IFAN. Il va continuer une grande enquête sur l'histoire de l'Empire peul du Macina et sur L'Empire toucouleur d'El Hadj Omar.
1957: il est nommé Conseiller culturel de Radio-Soudan, puis administrateur de la SORAFOM (Société de Radiodiffusion de la France d'Outremer), il va réaliser de nombreuses émissions culturelles. Cette même année, il est rédacteur en chef d'une revue mensuelle « Afrique en marche » où il publie de nombreux contes et récits historiques.
1958 (57 ans): autonomie au sein de l'Institut des Sciences humaines de Bamako, fondé par lui-même
1960 : Amadou Hampâté Bâ fonde à Bamako sur le modèle de l'IFAN de Dakar, l'Institut des Sciences humaines » dont il assure la direction jusqu'en 1961. Les sciences humaines ont pour objet d'étude ce qui concerne les cultures humaines, leur histoire, leurs réalisations, leurs modes de vie et leurs comportements individuels et sociaux. L'Institut étudie les cultures africaines.
1960: Son pays, le Soudan français proclame son indépendance sous le nom de « Mali ». Amadou est alors âgé de 59 ans.
1962-1970 ( de 61 à 69 ans): mandat d'AMADOU HAMPÂTE BÂ AU CONSEIL EXECUTIF DE L'UNESCO
1962: lors de la Conférence Générale de l'Unesco de 1962, réunissant pour la première fois les représentants des pays africains nouvellement indépendants, Amadou Hampâté Bâ est élu membre du Conseil exécutif de l'Unesco et représente son pays.
Pendant 8 ans, Amadou Hampâté Bâ mènera une action inlassable pour la reconnaissance et le sauvetage des cultures orales africaines, menacées de disparition. Il fait prendre conscience que les cultures africaines font partie intégrante du patrimoine culturel de l'humanité. C'est à cette époque qu'il prononce cette phrase devenue célèbre :
« En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c'est une bibliothèque inexploitée qui brûle »
1965-1966: Au Congrès linguistique de Bamako, Amadou Hampâté Bâ participe à l'élaboration d'un système alphabétique unifié pour la transcription des nombreuses langues africaines.
1970: à 69 ans, libéré de ses fonctions de l'Unesco, il se consacre désormais à ses travaux personnels et va produire alors une oeuvre considérable jusqu'en1991, année de sa disparition à 90 ans.
En 1979: il obtient le prix de la langue française par l'Académie Française pour l'ensemble de ses oeuvres.
Les dernières années de sa vie, il les passera à Abidjan à classer ses archives sur les traditions orales d'Afrique de l'Ouest, accumulées durant toute sa vie et à écrire ses mémoires.